La santé respiratoire : un enjeu de « santé environnement » insuffisamment pris en considération

La Cour des comptes réalisé, sur demande de la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat, une enquête sur la santé respiratoire. Cette enquête a pour objectif d’évaluer l’efficacité des politiques de prévention et de lutte contre les principales maladies respiratoires que sont la Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO), l’asthme et le cancer du poumon, en intégrant l’ensemble des facteurs de risque, tout particulièrement environnementaux. 

L’Alliance vous propose un résumé du rapport.

Le terme de « santé respiratoire » ne figure pas dans le Code de la santé publique, et n’est pas reconnu par les autorités sanitaires (Ministère de la santé, ARS, professionnels de santé). Il est en revanche défini et reconnu par l’OMS.

Dans ce rapport, on retrouve : 

  • l’évolution épidémiologique des trois maladies respiratoires et de leurs facteurs de risque et les politiques de prévention
  • la prise en charge et l’organisation des soins des trois principales maladies respiratoires au regard des besoins des patients, ainsi que les pistes d’amélioration envisagées tant en termes d’efficacité sanitaire que de coût.
  • les limites actuelles et les leviers pour agir

Un état des lieux préoccupant

10% de la population souffre d’une pathologie respiratoire, principalement l’asthme (4 millions de personnes), la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO qui touche 3,5 millions de personnes) et le cancer du poumon qui affecte 160 000 patients. 

Depuis 20 ans, ce nombre de malades augmente, notamment le cancer du poumon et la BPCO avec comme causes identifiées le tabagisme et le vieillissement de la population, tandis que l’asthme s’est accru du fait de causes environnementales. Les femmes sont davantage touchées par ces maladies. 

Le réchauffement climatique a des conséquences sanitaires, notamment dans le champ respiratoire, qui va aggraver les risques environnementaux qui pèsent sur les maladies respiratoires, comme l’asthme. La hausse des températures conduit à un allongement et une intensification de la saison pollinique. Les modifications climatiques favorisent la diffusion d’espèces végétales allergisantes dans des régions où elles étaient jusqu’alors absentes. C’est le cas avec la prolifération de l’ambroisie, hautement allergisante, qui peut entraîner l’apparition de l’asthme ou l’aggraver. Plus récemment, l’apparition de pollens de cyprès dans la région Grand Est favorise également l’asthme. 

La chaleur impacte certaines maladies ainsi que la pollution de l’air, créant un véritable cercle vicieux. Selon une étude menée aux Etats-Unis de 2007 à 2018, le recours aux soins pour BPCO était plus important pendant des pics de chaleur. De surcroît, les températures extrêmes accentuent l’impact sanitaire de certains polluants, comme l’ozone et les particules fines PM10.

Préconisations : 

  • poursuivre et amplifier la lutte contre les polluants dans l’air en direction des populations les plus fragiles sur les origines de la dégradation de la QA.
  • sensibiliser sur les effets du réchauffement climatique, les facteurs environnementaux des maladies respiratoires qui deviendront plus déterminants, notamment l’asthme d’origine allergique. 

Améliorer la sensibilisation à la qualité de l’air intérieur (QAI) 

La campagne de mesures de l’air intérieur réalisée entre 2020 et 2023 a permis d’actualiser les connaissances sur les polluants, la températures et l’humidité susceptibles d’altérer la QAI, les résultats seront disponibles en 2024. 

L’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI) a mis en évidence les dépassements de certains polluants dans les établissements scolaires :  96% des écoles dépassent les valeurs de PM2,5 et de NO2 dans 10% des cas, et au moins une classe par école possède un indice de CO2 élevé. 

Un point de vigilance est apporté sur l’usage des cuisinières et fours à gaz, utilisés par encore un tiers des foyers français, et responsable du déclenchement de crises d’asthme de près de 15 000 enfants en France. Or, La moitié de ces foyers dépasse la limite d’exposition déterminée par l’OMS vis-à-vis du NO2. 

Le radon, gaz naturel radioactif présent dans les sols granitiques, contribue à la pollution intérieur en s’infiltrant dans les bâtiments, selon la qualité du bâti et du sol. Cela augmente le risque de cancer du poumon. Classé comme cancérigène pulmonaire certain par le Circ depuis 1988, le radon constitue la 2e cause de cancer du poumon après le tabac, et la première cause chez les non-fumeurs. 

Préconisations :

  • sensibiliser les habitants des 31 départements où un risque de radon existe en ciblant particulièrement les fumeurs car le risque est démultiplié ; 
  • pérenniser les interventions des conseillers médicaux en environnement intérieur (CMEI). Plusieurs études révèlent une amélioration de l’état de santé des patients après l’application des recommandations des CMEI. Néanmoins, le financement des CMEI n’est pas assuré. L’assurance maladie ne prend pas en charge de coût de l’intervention qui est financé par plusieurs organismes comme les ARS, certaines assurances complémentaires ou les collectivités locales. Ces incertitudes sur les financements affectent le développement des CMEI qui ne peuvent pas couvrir l’ensemble du territoire : on compte 1 CMEI/département. 

Mesurer l’impact sanitaire des financements et développer un pilotage cohérent

Les financements en faveur de la prévention et soins des pathologies respiratoires

Les dépenses publiques liées à la prévention et aux soins des pathologies respiratoires sont partagées entre le Ministère de la Santé et celui de la Transition écologique.

Ces dépenses sont en augmentation mais on note l’absence d’un pilotage cohérent.

  • le ministère chargé de la santé, avec la Cnam, financent les actions de prévention (150 M€ en 2022), essentiellement consacrées à la lutte contre le tabac, et les dépenses de soins des pathologies respiratoires (6,7 Md€ en 2021).
  • le Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires finance, de son côté, de plus en plus les actions de prévention de la pollution atmosphérique avec des mesures d’amélioration de la qualité de l’air (évaluées à 5,1 milliards en 2022).

Le suivi de ces dépenses pourtant complémentaires entre elles, et poursuivant un même objectif de santé publique, n’est pas opéré dans le plan national santé environnement (PNSE).

Les financements en faveur de la qualité de l’air 

Les financements en faveur de la qualité de l’air extérieur et de l’air intérieur ont crû de façon significative sous l’effet des moyens consacrés par l’État à la transition écologique ainsi qu’au contrôle et au suivi des risques environnementaux associés. Le rapport pointe une augmentation des dépenses d’accompagnement de la transition écologique qui impactent l’air intérieur en ciblant la rénovation énergétique des bâtiments et les aides à l’acquisition ou location de véhicules propres : ces aides ont quadruplé entre 2018 et 2022, de 0,6 à 2,3Md.

Les financements consacrés à la prévention des risques ont également augmenté, de 0,9 en 2018 à 2,8 Md en 2022. Ils incluent : les outils de prévention des risques, le financement de la campagne nationale de surveillance de la QAI et l’application Recosanté, ainsi que les mesures concernant les échouages d’Algues aux Antilles. 

Préconisation : 

  • développer la mesure de l’impact des dépenses sur l’amélioration de l’état de santé de la population. En dépit d’une augmentation des dépenses publiques consacrées aux maladies respiratoires, tant sur le volet sanitaire (prévention et prise en charge) que pour les aspects environnementaux, la mesure de l’impact de ces dépenses sur l’amélioration de l’état de santé de la population demeure insatisfaisante et nécessiterait d’être développée.

Améliorer la lisibilité et la gouvernance de la santé publique

Les principaux instruments de gouvernance dans le domaine de la santé publique et de la santé environnement sont la stratégie nationale de santé (SNS) qui fixe les priorités du Gouvernement en matière de santé pour une durée de cinq ans et le plan national santé environnement ou PNSE, à caractère interministériel. Ces documents sont alimentés par quelques plans ou « feuilles de route », chacun consacré à une pathologie particulière. Ce n’est pas le cas en santé respiratoire. 

En effet, la France ne dispose pas, contrairement à d’autres pays, comme la Finlande, de planification spécifique à la santé respiratoire. Cela affecte l’efficacité de la prévention et des soins, mesurée par la prévalence des maladies respiratoires, notamment en ce qui concerne l’asthme et la BPCO.

Préconisation : 

  • inscrire l’environnement comme un déterminant majeur de la santé, à prendre en compte dans toutes les politiques publiques. L’approche « Une seule santé » (one health) doit être mieux intégrée, notamment pour les collectivités territoriales.
  • développer la promotion de la santé intégrant les facteurs environnementaux auprès des collectivités et de la population en encourageant particulièrement les approches co-bénéfices afin de faire converger des objectifs d’ordre sanitaires, environnementaux, sociaux et économiques.

Focus sur la politique de santé respiratoire menée en Finlande 

La Finlande a mis en place plusieurs plans qui ont conduit à une diminution drastique des pathologies respiratoires : la plan asthme (1994-2004), un plan allergie (2008-2028) avec notamment des campagnes d’informations du grand public avec des messages clés : améliorer la QA, arrêter de fumer etc. 

En parallèle un plan contre le tabagisme a été mis en place : taxe sur le tabac, interdiction de fumer dans les espaces publics et les plages, conduisant à une réduction de tabagisme (23% en 2000 à 11% de fumeurs quotidiens en 2019). 

Un plan « Air intérieur et santé » mêle QAI, lutte contre le tabac et lutte contre l’asthme en fixant des indicateurs sanitaires précis : -40% en 2028 des symptômes liés à l’environnement intérieur et une augmentation de 50% de satisfaction de l’air intérieur au sein de la population.

Introduire la santé respiratoire dans la planification de la santé environnementale 

La santé respiratoire en tant que politique de prévention et de soins ne fait pas l’objet d’une structuration spécifique, ce qui nuit à l’efficacité de son organisation nationale et régionale. Elle n’est donc pas intégrée, en termes d’objectifs, à la santé environnementale.

La santé environnement se décline dans la mise en œuvre du PNSE, qui s’ajoute à d’autres plans gérés par d’autres Ministères, des juxtapositions de plans de compétences administratives mobilisées entre plusieurs ministères affecte la lisibilité de cette politique publique, son pilotage, le suivi de la dépense publique en lien et de fait son efficacité. Or, le PNSE est dépourvu d’objectifs quantitatifs en termes sanitaires et respiratoires

Les collectivités locales contribuent également à la qualité de l’air : leurs dépenses directes, circonscrites au périmètre des régions et intercommunalités, peuvent être estimées à 11,8 M€ en 2021, soit un doublement depuis 2018 (5,9 M€) sous l’effet de l’engagement accrue des intercommunalités.

L’effet sur la santé des dépenses de prévention relatives à la qualité de l’air, dans le domaine de la santé environnementale, ne fait pas l’objet d’un suivi. Il existe pourtant des outils méthodologiques permettant de mesurer l’impact sanitaire des dépenses de prévention de la pollution de l’air : les évaluations quantitatives de l’impact sanitaire (EQIS-PA).

Préconisations : 

  • ajouter au PNSE un indicateur de « santé respiratoire », qui permette le pilotage et le suivi de la dépense en fonction de l’évolution du nombre de patients atteints d’une des trois pathologies respiratoires : asthme, BPCO et cancer du poumon. 
  • intégrer la santé respiratoire dans la stratégie nationale de santé et veiller à sa cohérence avec le PNSE. 

Renforcer la cohérence nationale et la mobilisation des acteurs en région

Plusieurs plans contribuent à l’amélioration de la qualité de l’air avec le concours des collectivités territoriales : PREPA, PPA, SRADDET, PACAET. Il conviendrait de mesurer, à l’issue de chaque plan de protection de l’atmosphère, l’impact sanitaire (en distinguant le moyen du long terme) des mesures mises en œuvre localement, que ce soit par l’État ou les collectivités locales.

Préconisations :

  • intégrer systématiquement d’un volet consacré à la qualité de l’air extérieur et intérieur (prévention de la pollution atmosphérique et de la dégradation de la qualité de l’air intérieur) dans les contrats locaux de santé, notamment avec les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d’aménagement, d’urbanisme et de transport. 

4 leviers pour agir et améliorer la santé respiratoire

  • Intégrer dans la Stratégie nationale de santé des objectifs sanitaires chiffrés en santé respiratoire, et les mettre en cohérence avec ceux du Plan national santé environnement (Ministère chargé de la santé). 
  • Adopter une feuille de route « maladies respiratoires chroniques », et la mettre en cohérence avec le Plan national santé environnement et la Stratégie nationale de santé, en termes d’objectifs quantitatifs (Ministère chargé de la santé). 
  • Doter le Plan national santé environnement d’objectifs sanitaires mesurables pour l’asthme, la Bronchopneumopathie chronique obstructive et le cancer du poumon ; en confier le suivi au Groupe santé environnement, et en assurer la déclinaison dans les Plans régionaux santé environnement. Ajouter au Plan national santé environnement un indicateur de suivi de la dépense (Ministère chargé de la santé). 
  •  Intégrer systématiquement dans les contrats locaux de santé un volet consacré à la qualité de l’air extérieur et intérieur (Ministère chargé de la santé). 

 

Découvrir l'intégralité du rapport

Le rapport de la Cour des comptes est disponible en ligne « La santé respiratoire : un enjeu de « santé environnement » insuffisamment pris en considération » 2017-2022 .

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